Depuis les révélations du New York Times quant aux pratiques du producteur Hervez Weinstein, la parole des victimes et des témoins de harcèlements sexuels se libère. Commentant l'affaire qui continue de bouleverser Hollywood, Isabelle Adjani s'est confiée au JDD sur les coulisses du cinéma français.

Dans une tribune, l'actrice dénonce l'impunité dont profitent les harceleurs dans le milieu du cinéma : "Pour la plupart des gens, si une actrice doit coucher pour y arriver, ça reste naturel, voire normal, selon l'idée qu'il faut bien donner un peu de soi quand on veut obtenir beaucoup. Et cette question est trop peu souvent considérée sous l'angle du harcèlement et du viol : "Et quand bien même, ne l'aurait-elle pas un peu cherché, elle qui affiche et montre son corps dans des tenues sexy, glamour, affriolantes?"

"Le pire, poursuit l'actrice, c'est que certaines femmes le pensent aussi et j'ai été abasourdie par les propos de la styliste Donna Karan qui a pris la défense de Harvey Weinstein en invoquant cet argument sordide. Alors si un tycoon du cinéma comme Weinstein use et abuse de cette situation, ce n'est pas si grave ? Même s'il est prêt aux chantages les plus odieux pour empêcher ses victimes de parler ?"

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L'actrice poursuit : "Donc quand le silence se brise, quand la parole se libère et qu'elle est enfin relayée parce qu'il n'est plus possible de remettre en cause le témoignage de dizaines d'actrices devenues célèbres, le scandale éclate et révèle de manière spectaculaire le système de prédation dans toute sa monstruosité. Ce qui était acceptable pour l'opinion sans être dit, devient inadmissible, insupportable, surtout dans un pays très puritain, en apparence, comme les États-Unis…"

"En France, c'est autrement sournois. En France, il y a les trois G : galanterie, grivoiserie, goujaterie. Glisser de l'une à l'autre jusqu'à la violence en prétextant le jeu de la séduction est une des armes de l'arsenal de défense des prédateurs et des harceleurs. De ceux qui prétendent que ces femmes ne sont pas si innocentes, car elles-mêmes se prêtent à ce jeu qui fait partie de notre culture. Dans les maisons de production ou chez les décideurs, j'ai souvent entendu : 'Toutes des salopes, toutes des putes de toute façon, ces actrices !'.

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L'actrice s'érige en défenseur de la liberté des femmes : "Mais ce n'est pas un jeu et il est grand temps de rappeler que dans libertinage il y a liberté et que quand une femme dit non, elle dit non, que son corps lui appartient et qu'elle seule est libre d'en disposer. Quand une actrice se fait séduisante pour décrocher un rôle, ce n'est pas pour se faire violer !"

"Je pense que cette histoire, l'impunité et le silence qui entourent encore le harcèlement sexuel, malgré l'évolution de la loi qui le réprime de plus en plus sévèrement, expriment profondément une inégalité radicale qui perdure entre les femmes et les hommes : celle du choix et de la maîtrise de sa sexualité.

D'un ton militant, l'actrice déclare : "Laissons savoir à ces messieurs les harceleurs que les actrices, tout comme les ouvrières, les agricultrices ou les ingénieures, les commerciales ou les institutrices, les mamans ou les putains, sont toutes libres de baiser, libres d'avorter. Et libres de parler !"