Public Story : Romain Duris, L'insaisissable

Public Story : Romain Duris, L'insaisissable

On l'a vu démarrer en 1994 en tant qu'adolescent rebelle. Près de trente ans plus tard, il incarne Gustave Eiffel au cinéma. Retour sur la carrière étonnante d'un acteur aussi mystérieux que talentueux.

Ce jour de 1993, Bruno Lévy, directeur de casting d'un film en cours de réalisation intitulé Le Péril jeune, est intimement persuadé d'avoir trouvé la perle rare. Il se trouve dans le troisième arrondissement de Paris, devant le lycée Turgot. Il a repéré ce jeune homme charismatique, avec des dreadlocks et d'énormes bagues, qui semble attendre sa petite amie. Bruno Lévy l'aborde et lui propose un rendez-vous avec un réalisateur, un certain Cédric Klapisch. Le jeune homme refuse et lui lance à la tête : "Non, je veux d'abord lire le scénario". Le directeur de casting, interloqué, finit par rire et lui explique qu'on distribue parfois des tracts dans la rue, mais jamais de scénarios.

Près de trente ans plus tard, Romain Duris, 47 ans, est bien moins bourru lorsqu'on lui propose de jouer dans un film. L'acteur est devenu incontournable dans le cinéma français, jouant dans des films d'auteur, des films d'époque ou des comédies romantiques. Il sera d'ailleurs à l'affiche d'E i ff e l - dont la sortie en salle a été repoussée au 13 octobre 2021 -, un biopic sur le bâtisseur visionnaire qui a transformé Paris. Paris, la ville où Romain Duris est né, comme son père et ses grands-parents. Papa est architecte, maman coloriste, il a un frère aîné, François, qui deviendra designer chez Peugeot, et une sœur cadette, Caroline, qui est aujourd'hui pianiste professionnelle. À la maison, il n'y a pas de télévision, mais seulement une radio qui diffuse de la musique classique. La bibliothèque familiale est très bien fournie ! Un environnement bobo avant l'heure qui le pousse à dessiner en permanence, un don qu'il a acquis dès l'enfance. Le jeune artiste avait d'ailleurs l'intention d'en faire son métier, comme sa mère, et a étudié les arts appliqués à l'École Duperré à partir de 1993. Mais du jour au lendemain, il arrête de dessiner pour se consacrer à la musique : "A 14 ans, j'ai eu une courte période keupon/psycho-illy où j'ai écouté Siouxsie and the Banshees, les Cramps, Bérurier noir... j'écoutais. Mais c'est vrai que c'était très court. Très vite, je suis passé au regae, au hip-hop, au funk, à l'électro ... J'ai bifurqué", a confié l'acteur à la première en avril 2019. Pour se faire de l'argent de poche, 'étudiant Duris a postulé comme livreur de pizzas, mais sa rencontre avec Bruno Lévy a mis fin à ce projet de vie. Le succès du Péril jeune, sorti en plein revival des années 70, associé au naturel poignant de Romain, fait mouche. Avec son allure de Johnny Depp français, l'homme devient un acteur générationnel qui capte parfaitement l'esprit du temps. Duris est le jeune homme dans l'air du temps, à la fois grunge et reggae, il plaît au public féminin, mais moins aux hommes, jaloux de son style sombre, beau et brun, à la limite de la répartie. "Les garçons ne veulent pas dire qu'ils m'aiment", faisait-il remarquer en décembre 2012 dans le magazine GQ.

Filmographie

1994 : LE PÉRIL JEUNE En lycéen rebelle devant la caméra de Cédric Klapisch, il crève l'écran. C'est aussi le début d'une collaboration fructueuse entre l'acteur et le cinéaste.

1997 : GADJO DILO Le réalisateur Tony Gatlif le fait tourner dans Gadjo dilo, un film qui met en lumière le quotidien des Roms à Bucarest. Un rôle décisif qui lance définitivement Romain Duris.

2002 : L'AUBERGE ESPAGNOLE Il retrouve Klapisch et rompt avec son image d'arriviste en jouant un étudiant Erasmus. Un succès populaire qui donnera lieu à deux suites.

2005 : DE BATTRE MON CŒUR S'EST ARRÊTÉ Cheveux courts et blouson de cuir... Romain Duris joue un agent immobilier sans scrupules dans ce remake du mélo de Jacques Audiard pour un tueur.

2007 : MOLIÈRE Laurent Tirard offre une vision vive et intelligente du dramaturge. Dans le rôle-titre, Duris vole la vedette à tous les autres.

2010 : L'ARNACŒUR L'acteur s'essaie avec brio à la comédie romantique, dans laquelle il charme Vanessa Paradis. Un autre grand succès au box-office.

2012 : POPULAIRE Un film vintage et puissant de Régis Roinsard, dans lequel Duris joue le patron d'une compagnie d'assurances dans la France de la fin des années 50. L'osmose avec Déborah François est totale.

2018 : NOS BATAILLES Un employé d'Amazon se retrouve du jour au lendemain père célibataire. Un film qui oscille constamment entre le drame social et la chronique familiale. Duris met tout le monde d'accord.

2021 : EIFFEL Retour au film d'époque dans ce biopic prestigieux de Martin Bourboulon. Un film événement qui devrait définitivement consacrer Duris ?

Dans sa vie privée, l'homme est pourtant loin d'être un galant homme. "Je ne me sens pas un 'séducteur', je n'ai pas envie de passer d'une femme à l'autre. En amour, j'aime les relations qui durent {...}. Ça n'a jamais été un but en soi que ça marche avec les femmes", avouait-il à Gala en mars 2005, bien qu'il soit en couple avec l'actrice Olivia Bonamy depuis 2002. Au cinéma, Romain a tourné des films avec Cédric Klapisch, Tony Gatlif, Jacques Audiard, Patrice Chéreau et Christophe Honoré, qui l'ont fait sortir de sa zone de confort. Il n'a pas appris le métier d'acteur et est devenu acteur à la suite d'un casting sauvage, mais son charisme rayonnant est plus qu'évident à l'écran. Il attire tous les regards, se fait de plus en plus présent et mûr. En vieillissant, il abandonne son look rebelle pour aborder les années 2000 avec un look nettement plus stylé. Il se coupe les cheveux, travaille davantage ses rôles, tout en conservant sa coolitude parisienne. On sait que l'acteur aime faire la fête avec ses potes (Raphaël Fejtö, Benoît Magimel, Clément Sibony...) dans les bars de Bastille ou d'Oberkampf, danser dans la favela Chic à République, mais refuse de participer aux soirées showbiz et autres soirées caritatives. "On sentait qu'il aimait faire partie d'une clique, se fondre dans son groupe d'amis, mais surtout ne pas être la star, l'acteur qui fait son show", se souvenait l'écrivain Basile Parnurgias dans GQ en 2012. L'acteur se délecte de champagne (en début de soirée) et de vodka (en fin de soirée) et ne recule pas devant un pétard. Comme un trentenaire moyen des années 2000, il fait attention à ne pas tomber dans les addictions tout en évitant une trop grande exposition. "Je refuse systématiquement les photos et les selfies. Je ne veux pas que ma vie, quand je ne travaille pas, soit exposée à qui que ce soit", expliquait-il en avril 2017 dans le magazine Marie Claire. Une star étrange et insaisissable qui ne se trouve jamais là où on l'attend. Lorsque Romain Duris choisit par exemple une cause pour laquelle il souhaite s'engager, il surprend également. Dans son cas, il ne s'agit pas du réchauffement climatique ou de la faim dans le monde, puisqu'il sponsorise depuis quatre ans une association appelée CerHom, qui aide les hommes victimes de cancers masculins comme celui de la prostate ou des testicules. Avec discrétion, toujours ...

"En amour, j'aime les relations qui durent longtemps".

Vingt ans d'amour avec Olivia Bonamy.

Avec son charisme de beau ténébreux en mode rebelle, Duris a fait très bonne figure sur le plateau du Péril jeune en 1994. Il a séduit successivement la belle Anglaise du film Lisa Faulkner, puis Élodie Bouchez, qui jouait sa fiancée. Par la suite, il s'est révélé être un homme ultra discret sur sa vie amoureuse... En 2002, sur le tournage de Filles perdues, cheveux gras, il rencontre Olivia Bonamy, avec qui il a deux petits garçons : Luigi, né en 2009, et un autre, dont le prénom est resté secret, né en 2013. Près de vingt ans de vie commune, une sorte de tour de force pour un couple d'acteurs.

Ses looks Du dandy trash au dandy cool.

Après le look des années 90 avec cheveux en bataille, petite barbichette et Dr. Martens délavées, Duris a opéré un revirement de style à l'aube de l'an 2000. On le voyait souvent dans un costume sombre et cintré d'Agnès B. Avec une caractéristique particulière : ses nombreuses bagues, souvenir de voyages en Algérie ou en Palestine. Avec le temps, elles ont peu à peu disparu pour laisser place à un look plus sobre, avec des couleurs sombres et peu d'accessoires... Et détail important, l'acteur a toujours assumé ses poils corporels, la mode métrosexuelle née dans les années 2000 ne l'ayant pas épargné : "Ah non, des cosmétiques pour hommes ! S'il te plaît, s'il te plaît. Je ne porte pas de parfum. Je suis dans les vieux schémas", avouait-il à Madame Figaro en octobre 2008.

Panique en Ouzbékistan

En avril 2017, l'acteur raconte sur France Info une anecdote à la fois étonnante et glaçante : sur le tournage de Shimkent Hotel (sorti en 2003) en Ouzbékistan, l'équipe du film est arrêtée par un policier ivre qui déclare au réalisateur du film, en visant Romain Duris : "Il n'a pas le droit de conduire, on va le descendre". L'affaire se retourne rapidement contre lui lorsqu'il verse un pot-de-vin de 100 dollars, ce qui lui sauve la vie. Comme nous sommes peu de choses...

Dessinateur reconnu

Depuis son enfance, Romain Duris dessine en permanence. "J'aime laisser le crayon guider ma main. Parfois, c'est en noircissant la page que l'on accroche des formes nouvelles, inattendues", expliquait l'acteur au Parisien Week-end en décembre 2019, à l'occasion de son exposition baptisée Féroce dans une galerie du quartier du Marais à Paris. L'homme avouait alors que dessiner après un tournage lui permettait de se reconnecter à son quotidien. Comme un trait libéré